Le 3 mai 2025, Jean-Lucien Savi de Tové prêtait serment en tant que président de la République togolaise, dans un contexte politique inédit. La réforme constitutionnelle adoptée en mai 2024 a fait basculer le pays vers un régime parlementaire, consacrant un double tête à l’exécutif : d’une part, un président du Conseil détenant le pouvoir effectif, et d’autre part, un président de la République, figure honorifique chargée de garantir la cohésion nationale. Jean-Lucien Savi de Tové, personnage politique méconnu du grand public mais dont le parcours remonte aux années 1970, s’est imposé comme l’homme du consensus.
Héritier d’un nom, témoin d’une époque Jean-Lucien Savi de Tové est le fils de Jonathan Savi de Tové, intellectuel majeur et figure de l’indépendance togolaise. Journaliste, fondateur du journal Le Guide du Togo en 1934, membre actif du CUT de Sylvanus Olympio, Jonathan Savi de Tové avait accédé à la présidence de l’Assemblée nationale en 1958. En 1963, après l’assassinat du président Olympio, il part en exil, refusant de prendre la tête d’un gouvernement de contestation. Ce passé marque durablement le jeune Jean-Lucien, qui poursuivra des études poussées en sciences politiques avant de rentrer au pays.
La trajectoire du fils s’inscrit dans l’ombre de ce legs familial. Il gravit les échelons de la haute administration, jusqu’à devenir secrétaire général du ministère des Affaires étrangères. Mais sa carrière prend un tournant brutal en 1977, lorsqu’il est impliqué dans l’affaire des « mercenaires » – une tentative de coup d’État contre le régime de Gnassingbé Eyadéma. Accusé de complicité, il est condamné à dix ans de prison, dont il ne purge qu’une partie grâce à une amnistie.
Du silence au retour
Les années de réinvention Gracié au début des années 1990, Jean-Lucien Savi de Tové fonde son propre parti, le Parti des Démocrates pour l’Unité (PDU). Dans une scène politique marquée par l’émergence d’une opposition radicale et la montée du multipartisme, il adopte une posture plus modérée. Cette stratégie le rapproche de figures telles qu’Edem Kodjo, ancien Premier ministre et homme de dialogue.
En 1999, son parti fusionne avec d’autres pour donner naissance à la Convention Patriotique Panafricaine (CPP). Il devient le vice-président du nouveau parti, aux côtés d’Edem Kodjo. La CPP incarne une troisième voie, entre radicalité et allégeance au pouvoir, privilégiant la concertation et le dialogue intertogolais.
L’influence de Jean-Lucien Savi de Tové grandit notamment lors du dialogue intertogolais de 2006, qui aboutit à l’Accord politique global, sous la médiation de l’Union européenne et des diplomaties française et allemande. Il est désigné président du Cadre permanent de dialogue et de concertation (CPDC) en 2009, consolidant sa réputation d’homme de synthèse.
Une carrure institutionnelle au service de la nation Au fil des années, Jean-Lucien Savi de Tové s’impose comme une voix d’expérience, dotée d’une hauteur de vue rare dans un paysage politique souvent polarisé. Ministre du Commerce dans les années 2000, il participe à plusieurs gouvernements d’ouverture, avant de se retirer progressivement de la première ligne. Son profil d’homme d’État au-dessus des querelles partisanes en fait un candidat idéal au poste honorifique de président de la République dans la nouvelle configuration politique togolaise.
Élu par le Congrès le 3 mai 2025, il incarne la mémoire politique, la continuité républicaine et l’aspiration à un Togo apaisé. Son passé complexe, entre engagement, condamnation, rédemption et modération, offre à ce poste symbolique une profonde portée historique. En cette période de basculement institutionnel, le choix de Jean-Lucien Savi de Tové résonne comme un acte de mémoire autant que d’espoir.