C’est une première en Europe : le quotidien italien Il Foglio a confié la rédaction d’un supplément complet à une intelligence artificielle. Pendant un mois, 26 articles par jour ont été générés par une version professionnelle de ChatGPT, avec un objectif clair : tester la capacité de l’IA à se substituer à la plume humaine.
Editos, brèves, analyses, critiques, comptes rendus… Il Foglio a mis son IA à l’épreuve sur tous les formats journalistiques. À chaque fois, les instructions données étaient précises : tonalité, style, type d’argumentation. Résultat : la majorité des textes produits étaient exploitables, seuls deux ou trois par jour ont dû être réécrits par un humain. « LIA est rapide : elle met entre cinq et six minutes par article », affirme Claudio Cerasa, directeur du journal.
En apparence, les résultats sont bluffants. L’IA sait résumer des rapports volumineux, identifier une ligne argumentative, distinguer un fait d’une opinion, et même, parfois, insérer une pointe d’humour autoréférentielle.
Pour autant, tout n’est pas parfait. L’IA s’est rendue coupable de plusieurs erreurs majeures : citations d’auteurs décédés au présent, invention de faits, copier-coller paresseux d’articles déjà existants, et surtout, une incompréhension de l’actualité immédiate. Elle n’avait pas intégré, par exemple, la réélection de Donald Trump survenue le mois précédent.
Cette limite d’accès au temps réel s’ajoute à une carence plus fondamentale : l’absence d’intuition et de discernement. Une IA ne saisit pas l’indice subtil qui fait naître une enquête, ne devine pas la faille dans un discours, ne détecte pas l’angle caché d’un rapport officiel.
Malgré ces faiblesses, Il Foglio a décidé de pérenniser l’expérience : le supplément IA deviendra désormais un hebdomadaire de quatre pages.
L’hybridation, pas la substitution
En parallèle de cette expérimentation journalistique, certaines entreprises intègrent désormais l’usage de l’IA dans leur politique de performance. C’est le cas de Shopify, géant canadien du commerce en ligne, où le PDG Tobias Lütke a fixé une consigne claire à ses salariés : avant toute demande de recrutement humain, il faudra démontrer que l’IA ne peut pas suffire. Une approche résolument utilitariste, qui vise à généraliser l’usage de l’IA au quotidien.
Face à ces évolutions, faut-il craindre une disparition progressive de l’humain dans des secteurs comme le journalisme ? Pour Mehdi Farajallah, docteur en économie et spécialiste de l’IA, la réponse est non. « Il faut dépasser l’opposition homme/machine. L’avenir se jouera dans l’hybridation », affirme-t-il. L’IA est puissante pour analyser des volumes massifs de données, mais elle ne remplace ni l’émotion, ni la créativité, ni le sens critique.
Les émotions humaines, le choix éditorial, l’intuition d’un sujet et la capacité à penser contre soi sont autant de domaines où l’IA reste hors-jeu. Comme pour Internet, l’électricité ou le chemin de fer à leur époque, cette nouvelle révolution technologique soulève inquiétudes et fantasmes. Mais elle offre surtout des opportunités inédites — à condition de rester lucides et exigeants sur son usage.