La décision de radiation de Tidjane Thiam de la liste électorale en Côte d’Ivoire, rendue publique récemment, suscite un vif émoi. Pour en comprendre les fondements, il faut revenir au cœur du débat : le Code de la nationalité ivoirienne, et en particulier son article 48. Celui-ci stipule que tout Ivoirien ayant acquis une autre nationalité après l’âge de 18 ans perd de facto sa nationalité ivoirienne. Cette disposition, peu connue du grand public, est aujourd’hui au centre d’une tempête politico-juridique.
Selon cette lecture, un citoyen né Ivoirien, mais ayant acquis une autre nationalité à l’âge adulte — par exemple après des études à l’étranger — cesse légalement d’être Ivoirien, sauf s’il s’agit d’une double nationalité obtenue à la naissance. En d’autres termes, un enfant né d’un parent ivoirien et d’un parent étranger peut conserver sa binationalité, car celle-ci ne résulte pas d’un choix ultérieur.
C’est sur cette base que des militants proches du pouvoir ont saisi la justice pour contester la présence de Thiam sur la liste électorale. Pourtant, en 2022, il avait été valablement inscrit, muni d’un certificat de nationalité ivoirienne. La Commission électorale indépendante (CEI), après examen, avait confirmé sa régularité. Mais ses décisions étant susceptibles de recours, l’affaire a été portée devant un juge qui, ce week-end, a tranché : Tidjane Thiam ne remplit pas les conditions pour figurer sur la liste électorale, estimant qu’il n’était pas Ivoirien au moment de son inscription.
Une interprétation qui repose sur la supposition que Thiam aurait acquis la nationalité française après sa majorité. Or, ses avocats soutiennent l’inverse. Selon eux, Thiam est né Français. Son père, d’origine sénégalaise, n’aurait jamais détenu la nationalité sénégalaise et était citoyen français en vertu de son statut colonial sous l’AEF. Le nom de Thiam figure d’ailleurs dans le registre des Européens nés en Côte d’Ivoire, ce qui confirmerait sa nationalité française de naissance.
Désormais apatride ?
Le nœud du litige réside dans un décret de naturalisation obtenu par Thiam, que ses avocats qualifient de « naturalisation par surabondance ». Il s’agirait d’une formalité permettant à une personne déjà française de jouir pleinement de ses droits, sans pour autant signifier qu’il aurait acquis cette nationalité après sa majorité.
Autre élément troublant, Thiam a récemment renoncé à sa nationalité française, procédure qui n’est autorisée par la France que si le demandeur peut prouver qu’il possède une autre nationalité. Cela signifierait que, jusqu’à cette date, Thiam était bien reconnu comme Ivoirien par les autorités françaises.
La décision judiciaire soulève ainsi une contradiction profonde : si Thiam n’est plus Français et n’est pas reconnu comme Ivoirien, il devient apatride, situation incohérente avec le droit international.
Au-delà des considérations strictement juridiques, cette décision alimente les soupçons d’une instrumentalisation politique. Dans un pays marqué par des décennies de crises électorales liées à la question de la nationalité, la radiation de Thiam, potentiel candidat à la présidentielle, ne peut être perçue comme neutre. Certains y voient une manœuvre pour écarter un adversaire sérieux du jeu électoral.
Retour des vieux démons ?
Plus inquiétant encore, c’est l’impact de cette décision sur les milliers d’Ivoiriens de la diaspora. Beaucoup détiennent une double nationalité, acquise dans des circonstances similaires à celles de Thiam. Cette jurisprudence pourrait remettre en question leur droit de vote, voire leur citoyenneté ivoirienne, posant un problème majeur tant sur le plan administratif que politique.
Depuis les années 2000, la Côte d’Ivoire n’a jamais connu d’élection sans contentieux liés à la nationalité. L’article 48, flou et sujet à interprétation, symbolise ces tensions non résolues. La clarification de ce texte apparaît désormais comme un impératif démocratique.
Enfin, si cette décision réjouit certains camps politiques, elle participe aussi à renforcer les divisions au sein de la société ivoirienne. Dans un contexte déjà sensible, il appartient aux autorités de faire preuve de discernement pour éviter que la prochaine présidentielle ne rouvre les plaies du passé.