PAR PAYS
AccueilDébats & IdéesAnalyse et DécryptageRadié de la liste électorale, Tidjane Thiam désormais un apatride ?
Analyse

Radié de la liste électorale, Tidjane Thiam désormais un apatride ?

Par
André Bancé

La décision de radiation de Tidjane Thiam de la liste électorale en Côte d’Ivoire, rendue publique récemment, suscite un vif émoi. Pour en comprendre les fondements, il faut revenir au cœur du débat : le Code de la nationalité ivoirienne, et en particulier son article 48. Celui-ci stipule que tout Ivoirien ayant acquis une autre nationalité après l’âge de 18 ans perd de facto sa nationalité ivoirienne. Cette disposition, peu connue du grand public, est aujourd’hui au centre d’une tempête politico-juridique.

Selon cette lecture, un citoyen né Ivoirien, mais ayant acquis une autre nationalité à l’âge adulte — par exemple après des études à l’étranger — cesse légalement d’être Ivoirien, sauf s’il s’agit d’une double nationalité obtenue à la naissance. En d’autres termes, un enfant né d’un parent ivoirien et d’un parent étranger peut conserver sa binationalité, car celle-ci ne résulte pas d’un choix ultérieur.

C’est sur cette base que des militants proches du pouvoir ont saisi la justice pour contester la présence de Thiam sur la liste électorale. Pourtant, en 2022, il avait été valablement inscrit, muni d’un certificat de nationalité ivoirienne. La Commission électorale indépendante (CEI), après examen, avait confirmé sa régularité. Mais ses décisions étant susceptibles de recours, l’affaire a été portée devant un juge qui, ce week-end, a tranché : Tidjane Thiam ne remplit pas les conditions pour figurer sur la liste électorale, estimant qu’il n’était pas Ivoirien au moment de son inscription.

Une interprétation qui repose sur la supposition que Thiam aurait acquis la nationalité française après sa majorité. Or, ses avocats soutiennent l’inverse. Selon eux, Thiam est né Français. Son père, d’origine sénégalaise, n’aurait jamais détenu la nationalité sénégalaise et était citoyen français en vertu de son statut colonial sous l’AEF. Le nom de Thiam figure d’ailleurs dans le registre des Européens nés en Côte d’Ivoire, ce qui confirmerait sa nationalité française de naissance.

Désormais apatride ?

Le nœud du litige réside dans un décret de naturalisation obtenu par Thiam, que ses avocats qualifient de « naturalisation par surabondance ». Il s’agirait d’une formalité permettant à une personne déjà française de jouir pleinement de ses droits, sans pour autant signifier qu’il aurait acquis cette nationalité après sa majorité.

Autre élément troublant, Thiam a récemment renoncé à sa nationalité française, procédure qui n’est autorisée par la France que si le demandeur peut prouver qu’il possède une autre nationalité. Cela signifierait que, jusqu’à cette date, Thiam était bien reconnu comme Ivoirien par les autorités françaises.

La décision judiciaire soulève ainsi une contradiction profonde : si Thiam n’est plus Français et n’est pas reconnu comme Ivoirien, il devient apatride, situation incohérente avec le droit international.

Au-delà des considérations strictement juridiques, cette décision alimente les soupçons d’une instrumentalisation politique. Dans un pays marqué par des décennies de crises électorales liées à la question de la nationalité, la radiation de Thiam, potentiel candidat à la présidentielle, ne peut être perçue comme neutre. Certains y voient une manœuvre pour écarter un adversaire sérieux du jeu électoral.

Retour des vieux démons ?

Plus inquiétant encore, c’est l’impact de cette décision sur les milliers d’Ivoiriens de la diaspora. Beaucoup détiennent une double nationalité, acquise dans des circonstances similaires à celles de Thiam. Cette jurisprudence pourrait remettre en question leur droit de vote, voire leur citoyenneté ivoirienne, posant un problème majeur tant sur le plan administratif que politique.

Depuis les années 2000, la Côte d’Ivoire n’a jamais connu d’élection sans contentieux liés à la nationalité. L’article 48, flou et sujet à interprétation, symbolise ces tensions non résolues. La clarification de ce texte apparaît désormais comme un impératif démocratique.

Enfin, si cette décision réjouit certains camps politiques, elle participe aussi à renforcer les divisions au sein de la société ivoirienne. Dans un contexte déjà sensible, il appartient aux autorités de faire preuve de discernement pour éviter que la prochaine présidentielle ne rouvre les plaies du passé.

A voir aussi

Du même Pays

Côte d’Ivoire : exclu de la liste électorale, Tidjane Thiam dit vouloir aller jusqu’au bout

Tidjane Thiam, président du PDCI-RDA, ne cache pas sa colère. Dans une déclaration solennelle, il a dénoncé la décision d’un tribunal de première instance...

Côte d’Ivoire : Tidjane Thiam exclu du fichier électoral

Ce mardi 22 avril 2025, le tribunal de première instance d’Abidjan a ordonné la radiation de Tidjane Thiam, président du Parti Démocratique de Côte...

« Trop, c’est trop », Vitale annonce la fin de son mariage avec Marco Versace

Ce lundi 21 avril 2025, la chanteuse ivoirienne Vitale a surpris ses fans en annonçant, via une publication sur sa page Facebook, la fin...

Côte d’Ivoire: Tidjane Thiam, candidat du PDCI-RDA à l’élection présidentielle

Le Parti démocratique de Côte d’Ivoire – Rassemblement démocratique africain (PDCI-RDA) connait désormais son porte flambeau pour la présidentielle prochaine.La formation politique a porté...

Sur la même thématique

Au Bénin, la communication militaire à l’épreuve du terrorisme

À l’heure où la guerre ne se mène plus seulement sur le champ de bataille mais aussi dans l’arène de l’information, les forces armées...

Sénégal / Covid-19 : des poursuites judiciaires en cascade pour malversations

Au Sénégal, les premières grandes secousses judiciaires liées à la gestion des fonds Covid-19 commencent à faire tomber des têtes. Cinq anciens ministres du...

Des Boeing contre la paix : vers un « deal » Trump-Poutine ?

Alors que la guerre en Ukraine s’enlise et que les négociations de paix peinent à produire des résultats concrets, une information relayée par l’agence...

« Vassal des États-Unis » : J.D. Vance atomise encore l’Europe

Le vice-président américain J.D. Vance a récemment accordé une interview à un média britannique dans laquelle il s’interroge sur la relation sécuritaire entre les...

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici