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Chronique

La « grosse gifle » de Macron à  Ouattara qui secoue les apparences

Par
Paul Arnaud DEGUENON

Dans son discours du 6 janvier 2025 devant les ambassadeurs français à Paris, le président Emmanuel Macron a lancé plusieurs piques à peine voilées à l’encontre de certains chefs d’État africains. Parmi les dirigeants concernés, Alassane Ouattara, président de la Côte d’Ivoire, semble avoir été particulièrement visé. Une ironie frappante quand on sait que les deux hommes entretiennent une relation souvent décrite comme amicale et complice. Mais derrière les apparences, c’est une véritable gifle diplomatique qu’Emmanuel Macron a assénée à son homologue ivoirien.

Dans son adresse au diplomate français ce 06 août, Emmanuel Macron a longuement insisté sur le rôle de la France dans la lutte contre le terrorisme au Sahel et dans certaines régions d’Afrique de l’Ouest. Il a déploré « l’ingratitude » de certains dirigeants africains qui, selon lui, n’ont jamais reconnu à sa juste valeur l’engagement militaire français.

Si le président français semblait s’adresser au pays de l’AES et n’a pas cité directement le nom d’Alassane Ouattara, la référence est aussi difficile à ignorer. La Côte d’Ivoire, longtemps présentée comme un partenaire privilégié de la France en Afrique francophone, a bénéficié d’une coopération militaire étroite, mais n’a jamais véritablement assumé un rôle de leader régional en matière de sécurité.

En déclarant que certains dirigeants africains « n’ont pas eu le courage, vis-à-vis de leurs opinions publiques, de défendre l’action française », Macron laisse entendre qu’Alassane Ouattara, malgré son expérience et son influence, s’est montré trop prudent, voire passif, face aux critiques grandissantes de la présence militaire française.

Une remise en cause de la souveraineté ivoirienne

Lorsque Macron affirme que « aucun pays africain ne serait aujourd’hui souverain sans le déploiement militaire français », il envoie un message clair : certains États africains, malgré leurs discours sur la souveraineté, demeurent fortement dépendants de la France pour leur stabilité. La Côte d’Ivoire, qui a longtemps accueilli des bases militaires françaises et bénéficié d’une assistance sécuritaire directe, se trouve directement concernée par cette déclaration. Cette affirmation, teintée de paternalisme, met en lumière un paradoxe : comment Alassane Ouattara peut-il continuer à revendiquer une souveraineté pleine et entière tout en s’appuyant autant sur la France ?

Cette critique est d’autant plus marquante que, lors de son discours sur l’état de la nation le 31 décembre 2024, Alassane Ouattara avait annoncé la rétrocession de la base militaire française du 43ᵉ Bataillon d’Infanterie de Marine (BIMA) de Port-Bouët aux Forces Armées de Côte d’Ivoire dès janvier 2025. Cette décision, présentée comme une avancée majeure pour l’indépendance militaire ivoirienne, avait été saluée comme un symbole de souveraineté retrouvée.

Cependant, les propos de Macron, affirmant que la France avait « laissé la primauté de l’annonce » aux chefs d’État africains par politesse, viennent brouiller ce message. Cela laisse entendre que cette décision serait moins le fruit d’une initiative ivoirienne que d’une stratégie décidée en amont à Paris. Cette perception risque de fragiliser l’image d’indépendance qu’Alassane Ouattara avait cherché à projeter avec cette annonce symbolique.

La relation entre Emmanuel Macron et Alassane Ouattara a souvent été décrite comme étroite et cordiale. Pourtant, ce discours révèle une asymétrie gênante : l’ami Alassane apparaît ici davantage comme un partenaire subordonné que comme un égal.

Lorsque Macron évoque le retrait stratégique de certaines bases militaires françaises et parle de « laisser la primauté de l’annonce » aux chefs d’État africains, il sous-entend que ces derniers n’ont fait qu’accepter une décision déjà prise à Paris. Alassane Ouattara, malgré son statut de vétéran de la scène politique africaine, semble avoir été relégué au rang de figurant dans ce jeu diplomatique.

Cette dynamique crée un malaise évident : comment un dirigeant aussi expérimenté et influent peut-il accepter d’être publiquement ramené à un rôle aussi secondaire ?

Un silence qui interroge

Depuis le discours d’Emmanuel Macron, Alassane Ouattara est resté silencieux. Aucune réaction officielle, aucun démenti, aucune clarification. Ce silence est assourdissant et pourrait être interprété comme un signe d’embarras.

Le président ivoirien se trouve face à un dilemme :

  • S’il répond publiquement, il risque d’exposer encore davantage la fragilité de sa position vis-à-vis de la France.
  • S’il garde le silence, il valide implicitement les sous-entendus de Macron.

Dans les deux cas, le président ivoirien sort affaibli de cet épisode diplomatique.

Cette sortie de Macron pourrait marquer un tournant dans la relation entre la France et la Côte d’Ivoire. Alassane Ouattara, souvent perçu comme un relais fidèle des intérêts français en Afrique de l’Ouest, se retrouve désormais sous pression pour prouver qu’il est capable de défendre les intérêts ivoiriens avec fermeté et indépendance.

La question demeure : le président ivoirien saura-t-il reprendre la main et imposer une nouvelle dynamique dans cette relation déséquilibrée ? Si cette gifle diplomatique a laissé des traces, elle offre également une opportunité : celle pour Alassane Ouattara de montrer qu’il est capable de sortir de l’ombre de Paris et d’affirmer une souveraineté ivoirienne authentique et assumée.

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