Depuis l’annonce de sa radiation de la liste électorale, le président du PDCI-RDA, Tidjane Thiam, fait l’objet d’un vif débat en Côte d’Ivoire. Pourtant, malgré la polémique, les manifestations de soutien restent relativement modestes. Comment expliquer cette faible mobilisation ? Rinaldo Depagne, directeur adjoint pour l’Afrique à l’International Crisis Group, apporte des éléments de réponse sur France 24.
Selon l’expert, le PDCI-RDA, fondé par Félix Houphouët-Boigny, n’a jamais été un parti habitué aux démonstrations de rue. C’est un parti traditionnel, d’orientation institutionnelle, longtemps au pouvoir, et qui recrute essentiellement dans des milieux sociaux où l’activisme de rue n’est pas dans les habitudes.
À cela s’ajoute une forme de lassitude populaire. « Beaucoup d’Ivoiriens sont fatigués des crises politiques à répétition », souligne Rinaldo Depagne. Ce sentiment s’accompagne d’une réelle crainte des violences. Lors de la présidentielle de 2020, les manifestations contre le troisième mandat d’Alassane Ouattara avaient fait 85 morts et plus de 500 blessés. Un souvenir encore frais.
Si Tidjane Thiam est une figure connue sur la scène internationale, il reste encore relativement nouveau sur la scène politique ivoirienne. Ancien ministre dans sa jeunesse, ex-PDG de grandes institutions financières mondiales, Thiam a quitté la Côte d’Ivoire depuis plusieurs décennies. S’il revendique un héritage politique fort – il est le petit-neveu de Félix Houphouët-Boigny –, il n’a pas encore complètement consolidé sa place dans le paysage local.
Une radiation au lourd symbole
L’exclusion de Tidjane Thiam de la liste électorale repose sur l’application stricte de l’article 48 du Code de la nationalité. Selon cet article, tout Ivoirien qui acquiert une autre nationalité après l’âge de 18 ans perd automatiquement la nationalité ivoirienne. Or, Thiam a obtenu la nationalité française en 1987, avant d’y renoncer officiellement en mars 2024 pour pouvoir se présenter à l’élection présidentielle, qui exige la nationalité exclusive ivoirienne.
Mais cette radiation soulève de vives interrogations. Le fait qu’elle touche un proche parent du père fondateur du pays, né en Côte d’Ivoire, alimente un malaise national. La question de la nationalité, déjà au cœur des tensions politiques passées, revient brutalement sur le devant de la scène.
Le cas de Thiam n’est pas sans rappeler celui d’Alassane Ouattara dans les années 1990. À l’époque, l’actuel président avait lui aussi été écarté du processus électoral, en raison de doutes sur sa nationalité. Le contexte actuel fait craindre une répétition de ce scénario.
D’autant que plusieurs figures de l’opposition sont déjà exclues du jeu politique : Laurent Gbagbo, Charles Blé Goudé, Guillaume Soro. À cela s’ajoutent des tensions au sein de la Commission électorale indépendante, dont les représentants de l’opposition ont récemment claqué la porte. Des signaux inquiétants, selon Rinaldo Depagne, dans un pays où l’on note également une recrudescence de propos stigmatisants à l’égard des étrangers, dans une société pourtant historiquement cosmopolite.
Un climat politique sous pression
La Côte d’Ivoire entre ainsi dans une période électorale délicate. Entre exclusions, tensions institutionnelles et clivages identitaires, le climat politique se tend. La radiation de Tidjane Thiam n’est pas qu’une affaire de droit, elle révèle des fractures profondes qui pourraient peser lourd sur la suite du processus électoral.