Alors que le Bénin entre officiellement dans l’année électorale qui conduira à l’élection présidentielle d’avril 2026, l’ambiance politique reste étonnamment calme. La Commission électorale nationale autonome (Céna) a dévoilé depuis plusieurs semaines le chronogramme des élections générales, mais sur le terrain, les candidatures tardent à émerger. Une situation qui interroge sur l’état de santé de la vie démocratique béninoise et sur les conséquences des réformes politiques engagées ces dernières années.
Traditionnellement, les périodes préélectorales au Bénin se caractérisent par une agitation politique marquée par des déclarations publiques, des créations de mouvements, des tournées d’implantation et des joutes médiatiques. Rien de tel aujourd’hui. À douze mois du scrutin présidentiel, aucun candidat ne s’est officiellement déclaré. Cette rareté de prises de position publiques étonne les observateurs, d’autant plus que le pays avait jusque-là cultivé une image de laboratoire de démocratie en Afrique de l’Ouest.
Pour certains analystes, cette léthargie est la conséquence directe de la réforme du système partisan engagée en 2018 qui avait pour objectif de mettre fin à l’émiettement politique et rationaliser l’offre électorale. Mais dans les faits, cette réforme aurait, selon le journaliste William Klikan, « remplacé le désordre par une rigidité qui bride l’initiative politique ».
Aujourd’hui, seuls trois partis majeurs sont considérés comme capables de jouer un rôle structurant dans la prochaine présidentielle à savoir l’Union progressiste le Renouveau (UPR), le Bloc Républicain (BR), et les Forces cauris pour un Bénin émergent (FCBE). Mais au sein de ces formations, la dynamique interne reste floue. Comme le souligne la juriste Julio Tométy, « même ceux qui ont des ambitions ignorent encore les critères de désignation des candidats ».
Les formations politiques semblent fonctionner autour de figures tutélaires, dans un environnement peu propice à l’émergence de nouveaux profils ou à l’instauration d’un débat interne. Le recours aux primaires est quasiment inexistant. Les statuts prévoient plutôt des comités ou des commissions de désignation, où la parole des dirigeants prime. Un système qui, selon plusieurs intervenants, décourage les ambitions et étouffe le débat démocratique.
Un calendrier sous contrôle politique ?
L’autre facteur de ce silence politique est d’ordre stratégique. Pour certains partis, la décision du président Patrice Talon de dévoiler tôt son propre agenda semble avoir fixé les règles du jeu. À la fois chef de la majorité et principal acteur politique, son poids influe sur le rythme des déclarations de candidature, y compris dans le camp de l’opposition.
Cette centralisation du pouvoir décisionnel pousse les partis à adopter une posture attentiste, craignant des désaccords internes ou une désintégration précoce. En l’absence d’un mécanisme clair de désignation et d’un environnement pluraliste animé, l’effet est un resserrement du jeu politique autour de quelques figures et structures, au détriment d’une expression démocratique plus ouverte.
Au-delà des aspects organisationnels, c’est surtout l’absence de contenu dans le débat politique qui frappe. Inflation, sécurité, éducation, développement local : autant de sujets qui préoccupent les citoyens, mais sur lesquels les partis brillent par leur silence. Aucun projet de société n’est débattu publiquement. Aucun programme ne fait l’objet d’un échange contradictoire.
Les réformes n’auront de sens que si elles favorisent un espace politique structuré et vivant. Or, à l’heure actuelle, « on a institutionnalisé les partis, mais vidé la démocratie de sa sève », déplore William Klikan. Sans débats ni propositions, l’exercice électoral risque de se réduire à une simple validation formelle d’équilibres politiques prédéfinis.
Quel avenir pour la démocratie béninoise ?
Si certains, comme Julio Tométy, appellent à la patience en soulignant qu’il est encore tôt pour évaluer pleinement les fruits du nouveau système partisan, d’autres redoutent une présidentielle à huis clos. L’absence de transparence, de compétition et de vision partagée pourrait alimenter la défiance des citoyens, déjà lassés par une vie politique perçue comme distante et peu inclusive.
Les élections générales de 2026 seront donc un test crucial. Non seulement pour évaluer la solidité des réformes engagées, mais surtout pour mesurer la capacité du Bénin à faire vivre un débat démocratique ouvert, responsable et ancré dans les réalités du pays.