À l’heure où la guerre ne se mène plus seulement sur le champ de bataille mais aussi dans l’arène de l’information, les forces armées béninoises se trouvent confrontées à un double défi : garantir la sécurité du territoire tout en maîtrisant leur récit. Une mutation lente, mais inévitable, dictée par les nouvelles formes de conflictualité où les armes à feu cohabitent désormais avec les armes narratives.
Longtemps perçue comme une institution murée dans le silence, l’armée béninoise opère une inflexion stratégique. « Nous ne sommes plus la grande muette, mais nous ne deviendrons pas non plus un grand perroquet », affirme le lieutenant-colonel Ebenzer Honfoga, porte-parole de l’État-major général des Forces armées béninoises. Cette transition vise à concilier devoir de réserve et nécessité d’informer une population de plus en plus connectée et réactive.
Cette évolution s’impose d’autant plus que le pays fait désormais face à des attaques régulières de groupes armés terroristes. L’émotion suscitée par ces assauts — dont celui du 11 avril 2025 — alimente les réseaux sociaux, souvent saturés de fausses informations. Or, le silence prolongé de l’institution militaire dans ces moments critiques ouvre la voie à la désinformation.
Un dilemme que reconnait le colonel Honfoga et qui pose la problématique de comment sécuriser les opérations en cours tout en répondant à l’attente légitime d’information du public. « La célérité de l’information n’est pas notre priorité, c’est la réussite des opérations qui prime », insiste-t-il. Ainsi, tant que les ratissages ne sont pas terminés, l’armée s’abstient de communiquer des bilans partiels, par souci de rigueur et d’objectivité.
Cependant, cette posture se heurte aux impératifs d’une opinion publique avide de transparence et aux méthodes d’un ennemi qui maîtrise parfaitement les codes de la guerre informationnelle. Pour Régis Houp, expert en communication stratégique et géopolitique, « une armée qui ne contrôle pas son récit laisse les autres le faire à sa place. » Et dans le contexte actuel, ce vide narratif est comblé par les propagandes des groupes terroristes, bien décidés à miner le moral national.
Vers une souveraineté narrative béninoise
Le défi est donc clair : construire un récit propre au Bénin, fondé sur ses réalités socio-culturelles et stratégiques, tout en s’inspirant des pratiques efficaces observées ailleurs. Contrairement aux armées du Sahel, dont la communication est souvent adossée à une logique politique — parfois militariste — la doctrine béninoise privilégie la prudence, l’adaptation et la montée progressive en puissance.
Selon les autoritaires militaires béninoises, cette approche prend déjà forme à l’École nationale supérieure des armées où un module dédié à la communication militaire a été introduit. Elle se déploie aussi dans la coopération avec les médias nationaux, désormais mieux impliqués dans la gestion de crise. Mais pour Régis Houp, un pas reste à franchir : « Il faut aller plus loin, utiliser les médias sociaux, les radios communautaires, parler dans nos langues nationales. C’est ainsi que l’armée gagnera la confiance des populations. »