Au Sénégal, les premières grandes secousses judiciaires liées à la gestion des fonds Covid-19 commencent à faire tomber des têtes. Cinq anciens ministres du gouvernement de l’ex-président Macky Sall sont aujourd’hui dans le viseur de la justice, accusés de graves manquements dans l’administration des ressources mobilisées pour la riposte sanitaire.
Tout est parti d’un rapport publié en août 2022, alors que Macky Sall était encore au pouvoir. Il s’agissait d’un audit mené sur le Fonds de riposte et de solidarité contre les effets du Covid-19 (Force-Covid-19), doté de plus de 1000 milliards de francs CFA (plus d’1,5 milliard d’euros). Alimenté par des contributions citoyennes, des financements étatiques et des dons de partenaires techniques et financiers, ce fonds visait à soutenir les secteurs affectés par la pandémie.
L’audit de la Cour des comptes avait relevé d’importantes irrégularités : violations des procédures de passation des marchés, absence de pièces justificatives, retraits massifs en espèces (jusqu’à 100 millions de francs CFA par jour), surfacturations, dépenses injustifiées (pots de fleurs, cocktails de prestige), ou encore passation de marchés médicaux à des prestataires n’ayant aucune compétence dans ce domaine. Le tout, dans un contexte d’urgence sanitaire où les règles avaient déjà été assouplies.
Si le rapport avait été rendu public en 2022, aucune suite judiciaire n’avait été engagée sous le précédent régime. L’ancien président Macky Sall avait été accusé d’avoir « mis le coude » sur ce document sensible. Avec l’arrivée au pouvoir du président Bassirou Diomaye Faye et de son Premier ministre Ousmane Sonko, le dossier a été transmis à la justice. Depuis sept mois, les investigations sont en cours.
À ce jour, 27 personnes ont été arrêtées spécifiquement dans le cadre du dossier, alors que 292 interpellations ont été enregistrées sur l’ensemble des affaires de mauvaise gouvernance. Parmi elles, des directeurs d’hôpitaux, des responsables d’associations, des membres d’ONG, et des opérateurs économiques. La justice sénégalaise examine aussi d’autres rapports, notamment ceux de l’OFNAC (Office national de lutte contre la fraude et la corruption).
Des ministres dans le viseur, mais encore protégés
Les cinq anciens ministres ciblés par les investigations ne peuvent être jugés que par la Haute Cour de justice, instance compétente pour les membres du gouvernement. Les dossiers les concernant ont donc été transmis à cette juridiction spéciale, mise en place au sein de l’Assemblée nationale.
À ce stade, aucun nom n’a été officiellement divulgué, mais l’opinion sénégalaise connaît les ministères fortement impliqués dans la gestion des fonds : la Santé, l’Économie communautaire ou encore les Infrastructures. Des voix s’élèvent pour exiger que les anciens ministres soient auditionnés, voire que l’ancien président Macky Sall rende lui-même des comptes.
Dans cette affaire, il faut note que la justice sénégalaise est soumise à une forte attente citoyenne. Initialement, l’opinion publique penchait pour une gouvernance tournée vers l’avenir. Mais à mesure que les révélations se sont accumulées, la demande de comptes s’est amplifiée. Des débats ont même agité l’Assemblée nationale, où certains députés ont réclamé des arrestations immédiates.
L’enjeu est de taille : rétablir la confiance dans les institutions et montrer que les promesses de rupture et de transparence ne resteront pas lettre morte. La mise sous contrôle judiciaire de certains mis en cause, avec des cautions équivalentes aux montants détournés, a provoqué l’incompréhension d’une partie de la population, qui réclame plus de fermeté.
Vers une implication directe de Macky Sall ?
L’ombre de l’ex-président plane également sur le dossier. Macky Sall, qui avait lui-même supervisé la distribution des vivres pendant la pandémie, est accusé par certains responsables politiques, dont le député Guy Marius Sagna, d’avoir couvert les dérives. Le fait qu’il ait supprimé le poste de Premier ministre à l’époque, concentrant les pouvoirs, renforce les suspicions.
La possibilité d’une audition de l’ancien chef de l’État par la Haute Cour de justice est désormais évoquée. Si elle se concrétise, ce serait un tournant majeur dans l’histoire politique contemporaine du Sénégal.
Aussi, au-delà des sommes détournées — 700 milliards de francs CFA, selon les estimations —, ce sont les pratiques de gestion publique, l’intégrité des institutions et la culture de l’impunité qui sont remises en question. Certains mis en cause, en cherchant à se blanchir, ont même révélé des patrimoines personnels qui pourraient les exposer à des accusations d’enrichissement illicite.